Nous vous proposons la retranscription d’un article paru à la fin des années 1990 dans le magazine municipal de Lens consacré à Anatole Tchornoborodko, un prisonnier de guerre soviétique détenu au camp Pasteur de Lens durant la seconde guerre mondiale.
Anatole TCHORNOBORODKO ou la vie d’un prisonnier de guerre à Lens
Anatole Tchornoborodko vient de réaliser un rêve qu’il caressait depuis des décennies. A l’invitation de la municipalité, ce journaliste ukrainien à la retraite a récemment redécouvert Lens qu’il avait quittée… cinquante-quatre ans plus tôt au terme de deux années passées au camp des prisonniers civils déportés. Un retour émouvant qui se veut le témoignage d’une période douloureuse mais aussi un hommage rendu au courage de la population lensoise sous l’Occupation.
Quinze ans ! Lorsqu’il a foulé pour la première fois le sol de Lens, Anatole Tchornoborodko n’avait que quinze ans. C’était en juillet 1942. Mobilisé comme prisonnier civil par les autorités allemandes, le jeune Ukrainien venait de traverser le continent en deux semaines dans les wagons de marchandises et sans la moindre nourriture.
C’est évidemment tenaillé par la faim qu’il débuta un bien pénible séjour en Artois, un séjour dont il a livré les détails à la municipalité et à la presse lensoises un demi-siècle plus tard dans une lettre émouvante qui en dit long sur les conditions de vie subies par les nombreux prisonniers étrangers internés par les nazis( ils furent près de huit cents1) au camp Pasteur. Des nuits sordides dans les braquements de fortune derrière les barbelés aux longues journées de travail à la mine, le quotidien d’Anatole Tchornoborodko et de ses compagnons ne fut qu’une succession de privations et de détresse.
Main dans la main
» Il faut savoir, écrit-il, que ce n’est pas terrible du tout de vivre avec une soupe au chou, du rutabaga et du café sans sucré » Bref, pas un jour sans que la malnutrition et son lot de maladies, parfois fatales, ne rôdent.
Et pourtant, malgré les temps difficiles, la solidarité dont firent preuve les Lensois à l’égard des prisonniers fut pour eux une véritable bouée de sauvetage. Dès les premiers jours de leur arrivée, les « Russes », ainsi qu’on les appelait furent accueillis par des habitants qui leur tendaient avant leur descente à la fosse, de qui manger. La Gestapo eut beau disperser, voire arrêter les courageux bienfaiteurs, les gestes de solidarité se multiplièrent.
« Tous les prisonniers travaillaient main dans la main avec mineurs du secteur », se souvient Anatole, et les femmes de ces derniers, en préparant chez elles « le briquet » pour leur mari, leur ajoutaient des tartines pour les Russes. Certains mineurs donnaient complètement leur briquet quand ils n’avaient pas faim. Plus tard, les mineurs accueillirent les prisonniers en permission chez eux pour leur offrir des vêtements et les habiller comme des Français. De quoi se fondre utilement dans la population… et tenir le coup jusqu’à la Libération tant attendue.
Un message poignant
Ainsi, la visite d’Anatole Tchornoborokdo à Lens accompagné de sa fille Lubow Didenko, a valeur de symbole. Si pendant plus de cinquante, les circonstances et notamment la guerre froide l’en ont empêché – les lettres qu’il tenta d’envoyer aux journaux lensois ne parvinrent jamais à destination – l’Ukrainien, âgé de soixante et onze ans, a pu enfin aujourd’hui témoigner de sa reconnaissance à la population lensoise : » Chers citoyens de Lens, au nom de plus de huit cents anciens prisonniers des fascistes, veuillez s’il vous plaît accepter, avec un retard si important mais dont nous ne sommes pas responsables, notre énorme reconnaissance pour votre aide inestimable dans ces années si tragiques ! «
Son message poignant ainsi livré, il s’en est retourné en Ukraine le cœur en paix.
- A l’emplacement actuel du centre d’animation culturelle Albert Camus, rue Bernanos. ↩︎